La gestion des comptes en devises en Tunisie demeure un sujet complexe, et pour de nombreux citoyens et entreprises, c’est un véritable casse-tête. Entre les restrictions sévères, les limites imposées pour les voyageurs à l’étranger, et les lourdeurs administratives, les Tunisiens se heurtent à des obstacles qui affectent autant leur quotidien que leur compétitivité sur le plan international. Pourtant, à l’heure de la mondialisation et du développement numérique, la demande pour plus de flexibilité et de facilité dans la gestion des devises n’a jamais été aussi forte.
En Tunisie, l’accès aux comptes en devises pose de nombreux défis, non seulement pour les particuliers, mais aussi pour les entreprises. En dépit de l’ouverture progressive de l’économie tunisienne sur le monde, la réglementation des changes reste une barrière importante pour ceux qui cherchent à gérer leurs transactions internationales. Entre les restrictions sur l’accès aux devises, les limitations imposées pour les voyages à l’étranger et les défis que rencontrent les entreprises exportatrices, les Tunisiens se heurtent à des obstacles qui affectent leur quotidien ainsi que le dynamisme de l’économie.
Des restrictions limitantes sur l’ouverture des comptes en devises
En effet, seuls certains profils peuvent ouvrir des comptes en devises. Les résidents n’ayant pas de revenus en devises, à l’instar des salariés locaux ou des indépendants ne travaillant qu’à l’échelle nationale, sont exclus de cette possibilité. Les comptes en devises sont principalement réservés aux exportateurs, aux expatriés ou encore aux Tunisiens qui perçoivent des revenus de l’étranger. Cette limitation freine la capacité de nombreux Tunisiens à accéder aux avantages liés à la détention de devises, qu’il s’agisse de diversification des épargnes ou de facilitation des transactions internationales.
Sarra, une jeune entrepreneuse tunisienne dans le secteur du design, a tenté d’ouvrir un compte en devises pour faciliter ses transactions avec ses clients européens. « Je n’arrive pas à trouver une solution viable. Les banques exigent des justificatifs que je ne peux fournir, car je n’ai pas de revenus stables en devises. Pourtant, mes clients à l’étranger préfèrent me payer en euros, ce qui complique mes échanges et retarde souvent mes paiements. Je perds du temps et de l’argent », confie-t-elle.
De l’autre côté, les Tunisiens souhaitant voyager à l’étranger se heurtent également à des contraintes strictes. L’allocation touristique est plafonnée à 6.000 dinars par an. Ce montant, bien que suffisant pour un court séjour, est loin de couvrir les besoins de ceux qui voyagent fréquemment, que ce soit pour des raisons professionnelles ou d’études. Cette limitation, combinée aux difficultés d’accès aux devises, constitue un obstacle majeur à la mobilité des citoyens.
À titre d’exemple, et bien que nous ne disposions pas d’un témoignage concret à ce cas, il est possible d’illustrer cette situation par un étudiant tunisien ayant obtenu une bourse pour un programme d’échange aux États-Unis ou en Allemagne…, avec l’allocation touristique, il ne peut pas changer suffisamment de dinars pour subvenir à ses besoins là-bas. Même s’il a une bourse, elle ne couvre pas tous ses frais de logement et de transport. Il a fallu que ses parents trouvent des solutions coûteuses pour lui envoyer de l’argent à l’étranger. Ce système est vraiment contraignant pour les jeunes qui cherchent des opportunités à l’international.
Achats en ligne, freelancing, entreprises exportatrices…, des défis au quotidien
Un autre domaine affecté par les restrictions liées aux devises est celui des achats en ligne. En Tunisie, les cartes bancaires locales ne permettent pas toujours d’effectuer des transactions en devises étrangères. Les freelances et entrepreneurs numériques, qui dépendent souvent de services en ligne pour développer leur activité, sont particulièrement touchés. L’accès limité aux devises leur complique la tâche pour souscrire à des abonnements en ligne, acheter des logiciels ou encore payer des fournisseurs internationaux.
« Je travaille en freelance avec des clients à l’étranger, mais je me retrouve souvent bloqué pour payer des services en ligne qui sont essentiels à mon activité, comme des logiciels ou des plateformes d’hébergement web. Je ne comprends pas pourquoi il est si difficile de gérer un compte en devises ici alors que la digitalisation de l’économie est en marche», explique Ali, un jeune freelance dans le développement informatique.
Les entreprises exportatrices ne sont pas en reste face à ces défis. Bien qu’elles puissent recevoir des paiements en devises, elles sont soumises à des règles strictes de rapatriement des devises. En effet, une grande partie des fonds perçus en devises doit être convertie en dinars tunisiens, ce qui limite la flexibilité des entreprises qui souhaitent réinvestir en devises. Cela engendre également des coûts supplémentaires liés aux fluctuations des taux de change, et affecte la compétitivité des entreprises tunisiennes à l’international.
« Nous avons souvent besoin de conserver une partie de nos revenus en devises pour payer nos fournisseurs européens. Cependant, les règles de rapatriement nous obligent à convertir la majorité de nos revenus en dinars, ce qui nous expose aux fluctuations des taux de change. Cela complique notre gestion financière et nuit à notre compétitivité à l’international. », développe Ali, un responsable d’une PME textile qui exporte vers l’Europe.
Bureaucratie, complexité et l’urgence de réformes
Pour la Tunisie, la bureaucratie inhérente à l’ouverture et à la gestion des comptes en devises est un autre frein majeur. Les entreprises et les particuliers doivent souvent fournir des justificatifs complexes pour ouvrir ou approvisionner un compte en devises, ce qui ralentit considérablement les procédures. Pour les petites entreprises ou les entrepreneurs qui ont besoin d’agilité, ces lourdeurs administratives représentent un obstacle de taille.
Face à ces défis, plusieurs pistes de réformes se dessinent pour alléger la pression sur les citoyens et stimuler l’économie tunisienne. La principale réforme est l’assouplissement des restrictions sur les comptes en devises qui constitue une première piste. Il s’agirait d’élargir l’accès à ces comptes aux travailleurs indépendants et aux petites entreprises locales, même en l’absence de revenus stables en devises, afin de faciliter leurs activités internationales. La révision de l’allocation touristique apparaît également nécessaire, en particulier pour les étudiants et les professionnels voyageant régulièrement. Une réévaluation du montant accordé pourrait améliorer la mobilité internationale tout en favorisant les échanges professionnels.
La simplification des procédures administratives est une autre priorité. Rendre l’ouverture et la gestion des comptes en devises plus accessibles, en réduisant la bureaucratie, permettrait à davantage de citoyens et d’entreprises d’en bénéficier.
Enfin, une plus grande flexibilité pour les entreprises exportatrices, leur permettant de conserver une partie de leurs revenus en devises, serait un atout pour soutenir leurs besoins de réinvestissement et optimiser leur gestion des flux internationaux.
Ces réformes, bien que cruciales, devront être accompagnées d’une vision critique et réaliste de leur mise en œuvre, afin de garantir leur impact positif sur l’économie et la société tunisiennes… Car, qu’on le veuille ou pas, la réglementation des comptes en devises en Tunisie, bien qu’elle vise à protéger les réserves de change et à maintenir la stabilité financière du pays, constitue un frein important pour l’ouverture de l’économie et la modernisation des échanges.
Les citoyens, les entrepreneurs, et les entreprises exportatrices se retrouvent confrontés à des obstacles qui ralentissent leur capacité à innover et à s’intégrer pleinement dans l’économie mondiale. Il est, donc, impératif que les autorités tunisiennes repensent ces politiques à la lumière des évolutions économiques internationales et des besoins croissants des acteurs locaux. Une réforme en profondeur de la réglementation des devises pourrait non seulement soulager les citoyens et les entreprises, mais aussi renforcer la compétitivité de la Tunisie sur la scène mondiale.